« Pourquoi les autres vivent bien et nous on ne vit pas bien ? Pourquoi les africains doivent souffrir autant ? Je suis parti, alors que personne n’aurait le courage de passer ce que nous avons passé. D’aller dans des pays si pauvres, de risquer ta vie de cette manière. Je n’ai jamais pensé que si je partais, je pouvais mourir ou je pouvais ne pas m’en sortir. Quand c’est fait, c’est fait. Je ne le regretterai jamais. »
M. est arrivé au Maroc en Mai 2019. A l’âge de 15 ans, après avoir perdu ses parents, sa vie dans un petit village du Cameroun était devenue extrêmement difficile. Il est parti à la recherche d’un futur meilleur. « J’ai marché pour 2 kilomètres et je suis arrivé dans un autre village près de la frontière. Direction Mubi, la première ville au Nigeria. C’est là que j’ai rencontré ces deux femmes. C’est Dieu qui me les a envoyées. » Caché par deux commerçantes nigériennes rencontrées dans la rue, M. arrive à Lagos. « Je ne savais pas où dormir et où manger. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à demander de l’argent. Je n’aime pas demander aux gens, mais quand tu n’as pas l’argent, tu n’as rien à manger et tu ne trouves pas de travail, c’est la seule chose que tu puisses faire. » Après avoir trouvé l’argent nécessaire pour partir au Niger, M. regrette d’y avoir mis pied. « Là, au Niger, j’ai découvert un autre monde. J’ai dit, Mon Dieu, quelle vie est-elle ? Dans quel monde sommes-nous ? Le soleil est chaud, la température peut arriver à 50 degrés. Ça te brûle la peau. Les gens ont faim, ils souffrent beaucoup ».
Pour aller en Algérie, les migrants irréguliers partent souvent avec des passeurs Touaregs, qui connaissent le chemin mieux que d’autres. Les Touaregs, qui parlaient que haoussa et ne comprenaient pas le français, cherchaient un traducteur de haoussa au français. « Un des Touaregs de ce groupe est venu me voir. Il conduisait un camion rempli d’africains, Ivoiriens, Guinéens, Nigériens, prêts à partir pour l’Algérie. Il a demandé si je parlais haoussa, la langue de ma mère. Si je connais cette langue c’est grâce à elle. Je la remercie, c’est elle qui m’a sauvé. » En échange de son aide, M. a pu voyager gratuitement. Sur la route, M. commence à faire confiance au passeur. Il ne connaissait pas encore ses vraies intentions. Après deux jours de voyage dans le désert, juste après avoir passé la frontière algérienne, tous les migrants subsahariens ont été vendus. Sauf lui. « Pourquoi tu les a vendus ? Pourquoi tu l’as fait ? J’étais choqué ». Lui, il m’a répondu : « Toi, t’as eu de la chance. Les autres on va les vendre pour 200 euros. Voilà ton argent. Prends-le et pars, ou bien je vais changer d’avis. »
En Algérie, M. a essayé de trouver un travail pour survivre sans devoir mendier, mais à cause d’une malformation à un bras, il ne pouvait pas porter des poids lourds et tous les employeurs le refusaient. « Là-bas je ne pouvais pas faire autre chose que travailler dans la construction des bâtiments, parce qu’en Algérie il n’y a pas de travail. Là-bas, tu travailles pour deux mois, ils t’exploitent, et après ils te vendent à la police. L’Algérie ne respecte pas les droits de l’homme. Le Maroc est beaucoup mieux. » Son voyage de l’Algérie au Maroc, assuré par une « guidache » a commencé à Beni Snous. Ils étaient 15 au total à traverser les montagnes en cachette, en marchant plus de 35 kilomètres. Seulement quatre d’entre eux sont véritablement arrivés au Maroc.
Toutefois, le Maroc n’était pas une destination finale pour lui. Arrivé à Oujda, il est parti pour Tanger dans l’espoir de rejoindre l’Espagne. Sept garçons sur un bateau gonflable, ils ont pagayé pour rejoindre Gibraltar dans une nuit froide. Arrêtés par la marine, ils sont partis vers Nador. « Je suis allé jusqu’à Melilla, pour essayer de faire le grand saut. J’ai escaladé la barrière, j’étais monté jusqu’à plus de 3 mètres. Mais la police m’a frappé sur la tête avec un bâton et je suis tombé. » M. a tenté six fois de partir en Europe. C’était son rêve.
Après avoir été refoulé plusieurs fois, il est arrivé à Rabat. Reconnu comme réfugié par l’HCR, il vit ici depuis deux ans. Bien que le Maroc, comparé aux autres pays qu’il a traversés, soit le pays qui respecte le plus les droits des migrants et des réfugiés, il a vécu plusieurs expériences de xénophobie. « Ici, dans plusieurs quartiers, il y a du racisme. Dans la rue, ils m’appelent souvent al aazzi. Ils m’ont déjà craché dessus. » Cependant, M. reconnait l’importance des associations qui aident les réfugiés au Maroc. « Bien sûr, je suis reconnaissant à la Fondation et à l’HCR. Grace à eux, je suis devenu quelqu’un. Un jour, si j’ai l’argent, j’aimerais financer une association dans les pays pauvres, comme le Niger. Elle s’appellera Bozaya. Ça veut dire crois en toi. » Aujourd’hui, son objectif est de continuer les études et de pouvoir travailler un jour dans le cinéma, en tant que comédien ou réalisateur. Son rêve est de réaliser un film qui parle de son histoire.
« On dit que si dans la vie t’as connu la souffrance, même si avant t’étais la personne la plus méchante du monde, tu vas changer. Même si les gens parfois me parlent dans le dos, je ne vais jamais changer. Je vais toujours faire mon mieux pour aider les autres, pour tout donner. »