« Quand j’ai quitté mon pays, mon objectif n’était pas d’aller en Europe et chercher de l’argent. Je ne viens pas d’une famille pauvre, donc mon but n’était pas d’être riche, mais juste de vivre, d’être libre. La liberté est la chose la plus importante. »
Aboubacar a quitté la Cote d’Ivoire pendant la crise de 2015. Après l’homicide de son père, ancien chef militaire, il ne se sentait plus en sécurité dans son pays et il a décidé de partir, sans une destination précise. Arrivé au Mali, il a travaillé un an dans la construction de bâtiments et il a rencontré un ami ivoirien en route pour le Maroc. Rester au Mali, pays confinant avec la Cote d’Ivoire, était tout de même dangereux pour Bouba, qui avait été kidnappé plusieurs fois à cause de son engagement politique à côté de son père. Le Mali n’était pas un pays sûr pour lui. Pour cela, Bouba a décidé de suivre l’ami dans son voyage à travers le désert, direction l’Algérie. Toutefois, il ne s’attendait pas à ce que le voyage soit si long et pénible. « Tu pars. Tu payes les trafiquants et ils te mettent sur un camion comme des moutons vers le désert ».
Arrêtée plusieurs fois par des groupes armés Touareg, la plupart des personnes en voyage a perdu tout son argent en route. Aboubacar, qui avait financé son voyage grâce à des chaines en or offertes par sa mère, refusa de vendre la dernière, la préférée de sa mère. Arrivé à Kidal, Bouba est emprisonné dans une maison, qu’il quitte seulement pour travailler et gagner de l’argent pour racheter sa liberté. Les violences physiques et les tortures pratiqués sur les migrants plus pauvres par les trafiquants, avaient un objectif précis : les pousser à la limite pour qu’ils appellent les familles et les convainquent à envoyer l’argent. Ceux qui n’ont pas obtenu d’argent, sont probablement encore emprisonnées. Le plus dégoutant pour Aboubacar c’est de penser que les oppresseurs étaient de la même ethnie que les opprimés. Ils étaient censés être « frères ». Cette expérience a énormément changé la vision d’Aboubacar sur les horreurs dont les êtres humains sont capables.
Après avoir « payé l’amende » et récupéré ses papiers, il arrive en Algérie. Le manque d’opportunité d’emploi et l’intolérance de l’Etat envers les migrants le poussait à continuer vers le Maroc. Quand il était plus jeune, jamais il n’aurait pensé aller vivre au Maroc. « Moi je n’avais pas de destination fixe. Moi je partais. Quand je suis parti, je voulais juste vivre ». Après plusieurs tentatives, en suivant la voie de l’ancien train Algérie-Maroc, Bouba arrive enfin à Oujda, où il découvre le Haut-commissariat pour les Nations Unies. Après 1 an et 6 mois de route, il n’est plus la même personne qu’il était au départ.
A Rabat depuis 5 ans, Bouba est encore ici et bénéficie du statut de réfugié. Il parle plus de 8 langues et il a créé une start-up de fitness. Toutefois, son rêve est d’ouvrir une association pour les orphelins et de les accueillir comme ses propres enfants. Quand il pense à son futur, Aboubacar dit : « D’ici cinq ans je vais être marié, avec des enfants, une belle famille. Je ne me vois plus au Maroc. Je ne vais pas avoir beaucoup d’argent, parce que l’argent ne fait pas le bonheur. Je voudrais juste en avoir un petit peu pour pouvoir prendre soin de ma famille et continuer à profiter de la nature et des gens qui m’aiment. La plupart des subsahariens qui part en Europe ne part pas pour rester, mais pour étudier et rentrer dans son propre pays. On connait très bien la valeur de nos pays. Il n’y a pas un endroit où on se sent mieux que chez soi. Moi, j’appartiens à l’Afrique. »