Solange, 39 ans, vient de la RDC où elle a passé un Bac en maths-physique avant d’entamer des études universitaires. Quand la guerre a éclaté dans son pays en 2000, elle a fui, comme des milliers d’autres, les affres du conflit. Pour arriver au Maroc, Solange a mis cinq ans et a emprunté toutes sortes de moyens de transport. Mais le mot qui revient souvent dans sa bouche est le verbe MARCHER. Son périple, digne d’un film d’effroi, peut faire rêver les esprits aventuriers si ce n’est le drame qui accompagne chaque étape de son voyage. « Marcher », dit-elle. « Marcher toujours. Du premier jour jusqu’au dernier. Il faut marcher, marcher, marcher… sinon la mort guette. »
Elle fuit son pays sous les balles et les coups de machettes à bord d’une pirogue pour atterrir au Congo Brazzaville. De là, elle arrive à la frontière du Cameroun. Là où elle arrive, elle cherche des compatriotes qui la nourrissent, lui dessinent des schémas de route sur des morceaux de carton ou des feuilles de papier froissés. Elle dort dans la rue, mange dans la rue. Au bout de quelques semaines, elle quitte le Cameroun pour le Bénin qu’elle atteint au bout de trois mois de marche. De là, elle rejoint le Burkina Faso. Ensuite le Mali avant d’atteindre le Sénégal. Là, on lui dit qu’il vaut mieux retourner au Mali et rejoindre l’Algérie. Le chemin, facilité par les passeurs, étant moins risqué. Mais il faut payer.
Solange n’a plus d’argent. Le peu qu’elle avait, elle l’a dilapidé pour acheter une place sur une camionnette ou dans un bus. Elle retourne au Mali et se pointe à la frontière algérienne. Là, elle tombe enceinte. Mais ne le sait pas. On comprend alors comment elle arrive à survivre. Elle pleure, supplie qu’on lui vienne en aide. Une femme propose de payer une partie du voyage. Chaque immigré participe alors à la hauteur de ses moyens. Elle embarque à bord d’un camion bandé de candidats à l’immigration. Comme elle. Des hommes, des femmes, des enfants qui ont tout laissé derrière eux, tout abandonné ; terre, parents, enfants, boulot, amis, souvenirs…
Elle arrive enfin au Maroc, à Oujda. Un miracle. Sans le sou, on lui suggère d’aller à Rabat, là où existent des structures d’accueil pour migrants, le UNHCR. Elle se débrouille comme elle peut, arrive tant bien que mal à la capitale en 2005 où elle accouche, la même année d’une petite fille. Au HCR, on l’oriente vers la Fondation Orient-Occident, seul organisme non étatique qui offre depuis plus de dix ans un espace d’aide et des dispositifs d’intégration aux migrants et réfugiés subsahariens. La crèche de la Fondation où elle laisse sa fille lui permet de suivre des cours d’arabe et d’anglais au Centre de la fondation avant d’entreprendre des formations professionnelles en informatique, esthétique, pâtisserie, tricot. Puis, elle intègre l’atelier « Migrants du Monde » de la Fondation où elle apprend la couture et la broderie. Sa vie change. Elle a un métier, s’intègre dans une famille devenue « sa famille, dit-elle, des migrantes comme moi, venues d’horizons divers et partageant les mêmes déboires. » Solange a acquis un savoir-faire et commence à gagner de l’argent. Elle peut, comme elle dit, « avoir un toit et manger à sa faim !. » « La Fondation, » dit-elle encore, « m’a sauvée. J’ai appris un métier et reconstitué ici une famille qui me protège et m’aide à me sentir chez moi, à redevenir un être humain. »
Entre temps, une femme congolaise qui a les moyens de traverser l’a convaincue de lui confier sa fille. La petite aura plus de chance de l’autre côté ! Solange a accepté. Elle ne savait pas que sa fille était une sorte de sauf conduit pour cette femme. Sa fille vit aujourd’hui à Paris et elle aurait même retrouvé son père présumé. Sa fille lui manque, mais elle est heureuse pour elle. Elle sait qu’elle a échappé à un destin malheureux. Elle dit qu’elle la retrouvera un jour.
Solange n’envisage pas un éventuel retour en RDC. « Ma vie est ici, dit-elle. » Puis, après réflexion elle ajoute : « Mon destin est entre les mains de Dieu. Lui seul sait ce qui est bien pour moi. »